Il était une fois les abat-jour – Part. 1

26 juin 2023

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La petite histoire des abat-jour…

A l’origine, l’abat-jour était un réflecteur de lumière qui s’adaptait à un chandelier ou à une lampe à huile, afin de rabattre la lumière et protéger les yeux de la flamme de la bougie. On l’appelait écran de lumière ou garde-vue. Ce nom perdurera jusqu’au XIXème siècle, puis l’intensité de la source lumineuse augmentant avec les progrès techniques (lampe à pétrole, puis électricité), l’abat-jour va permettre de mieux la diffuser et la tamiser.

A la Renaissance : plusieurs types de sources de lumière

Gravure Tagliente et Palatino

A la Renaissance, plusieurs types de sources de lumière sont utilisées. Les moins chères et les plus répandues sont la lampe à huile et la chandelle de suif (graisse animale). Cette dernière à l’inconvénient de dégager des fumées noires et de fortes odeurs lors de la combustion. Tandis que la bougie de cire d’abeille est le moyen le plus propre, mais aussi le plus cher de s’éclairer. Elle est l’apanage des riches, des pouvoirs laïcs et religieux. C’est à cette période, au début du XVIème siècle, que l’on trouve les premières traces des « abat-jour », chez les copistes.

En 1530, Giovannantonio Tagliente (La vera arte delo excellente scrivere de diverse varie sorti de litere…) et en 1540 Giovambattista Palatino (Libro nel qual s’insegna a scrivere ogni sorte lettera…), deux calligraphes italiens, ont répertorié, dans des textes illustrés, les outils qu’un copiste doit posséder.

Palatino décrit ainsi la lampe que doit utiliser le scribe pour travailler : « La lucerna con quel suo cappelletto, serve per tener raccolto il lume, onde sia maggiore, & più chiaro, & non offenda la vista, & il lume vuol essere d’oglio, & non di sevo, ò cera perche non dibatta, & sia piu puro, ne bisogna cosi smoccarlo. »

Dans les illustrations qui accompagnent leur liste, les deux copistes dessinent les lampes sous les lettres Ti et Pm. Tagliente ajoute même une chandelle Tj dont Palatino réprouve l’usage.

« La lampe, avec son chapeau, sert à maintenir la lumière pour qu’elle soit plus claire et plus lumineuse et qu’elle n’incommode pas l’œil, et la lumière doit être faite d’huile et non de suif ou de cire pour qu’elle ne vacille pas et qu’elle soit plus pure, et elle ne doit pas être tachée. »

Le début du XVIIème siècle : l’essor des chandelles de cire

Le début du XVIIème siècle voit l’essor des chandelles de cire au détriment des lampes à huile qui paraissaient rudimentaires. Afin d’atténuer la lueur des bougies et préserver les yeux, on adapte alors sur les chandeliers, un petit écran fait d’une mince lame d’ivoire ou d’ébène, comme celui répertorié dans l’inventaire du duc de Béthune, Archevêque de Bordeaux en 1680 : « Plus un petit chandelier avec son écran d’ébène verd. »

Alors que les lampes en cuivre et chandeliers sont fabriquées par les lampiers depuis le XIIIème siècle, en 1642, une nouvelle technique de travail du métal arrive en France : le fer blanc. Bien qu’inventé au XIIIème siècle en Bohème et en Saxe, ce n’est qu’au XVIIème siècle qu’il fait son entrée à Paris. Une nouvelle spécialité d’artisans travaillant le fer apparait : les ferblantiers. Le fer blanc est obtenu en fusionnant le fer en feuille et en l’entourant ensuite d’une fine couche d’étain. L’application de ce nouveau procédé se répand rapidement à tous les objets d’usage domestique.

Le souffleur à la lampe - Georges de La Tour 1640

Le souffleur à la lampe – Georges de La Tour 1640 – Huile sur toile – Musée des Beaux Arts Dijon – Réunion des Musées Nationaux Grand Palais ; © Philipp Bernard

Ferblantier avec corps composé de fer-blanc vu en pied-lampes de Cardan-après 1695 Eau-forte et gravure Nicolas de Larmessin II ©British Museum
Ferblantier avec corps composé de fer-blanc vu en pied-lampes de Cardan-après 1695 Eau-forte et gravure Nicolas de Larmessin II ©British Museum

Ce sont les ferblantiers qui commencent à fabriquer une lampe à huile plus élaborée, la lampe de Cardan, décrite ainsi par Antoine Furetière (1619-1688) :

« C’est une lampe qui se fournit elle-même son huile. C’est une petite colonne de cuivre bien bouchée partout, à la réserve d’un petit trou par en bas, au milieu d’un petit goulot où se met la mesche, car l’huile ne peut sortir qu’à mesure qu’elle se consume et fait descouvrir cette petite ouverture. »

Cette lampe est surmontée d’un chapeau conique en métal, précurseur de l’abat-jour que nous connaissons de nos jours.

Au XVIIIème siècle : un écran de lumière placé sur les chandeliers

Puis au XVIIIème siècle, l’écran de lumière placé sur les chandeliers, devient « garde-vue ». Celui-ci peut être conique, plat, en métal, en papier, en porcelaine. Sous forme de panneau plus ou moins ouvragé, il est monté sur une tige sur laquelle il coulisse ou bien lorsqu’il est en éventail circulaire, pincé sur la bougie et ensuite rangé plié dans son étui. Il peut être également fixe et placé devant le chandelier pour un effet décoratif.
Ecran sculpté en ivoire sur pied tourné en ivoire, début XIXème siècle - circa 1820
Ecran sculpté en ivoire sur pied tourné en ivoire, début XIXème siècle – circa 1820
Femme lisant sous un abat-jour en papier, Henry Robert Morland,1766, huile sur toile,Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection
Femme lisant sous un abat-jour en papier, Henry Robert Morland,1766, huile sur toile,Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection
Livre-journal de Lazare Duvaux marchand bijoutier ordinaire du roy - 24 mai 1750 - BNF
Livre-journal de Lazare Duvaux marchand bijoutier ordinaire du roy – 24 mai 1750 – BNF
Ainsi, dans le livre-journal du marchand Lazare Duvaux, célèbre fabricant de bronzes du temps de Louis XV, il est noté que Mme La Comtesse de Bissy a acheté le 18 juillet 1750 « Un grand chandelier à trois bobèches avec un garde-vue en entonnoir. » Alors que Mme la Marquise de Beuvron a acquis le 24 mai 1750 auprès de ce même marchand « un chandelier de métier à ressort, avec le garde-vue dans son étui. »
Par ailleurs, à la date du 25 février 1762, une réclame insérée dans les « Annonces, affiches et avis divers » mentionne que : « Le Sr. Maunoury, ferblantier sous la porte du Palais, du côté de la place Dauphine, fait de nouveaux CHANDELIERS A GARDE-VUE très commodes et peu coûteux. Le pied et la tige de ces Chandeliers sont de bois et proprement faits. 2 boëtes de fer-blanc coulent le long de la tige et s’arrêtent où l’on veut, ensemble ou séparément : l’une porte la Bougie ou Chandelle et l’autre le Garde-vue, qui est léger et suffisamment solide, quoiqu’il ne soit composé que de trois feuilles de papier, blanc en dedans, pour réfléchir la lumière sur l’ouvrage, et vert en dehors, pour ne pas fatiguer la vue. »

Parallèlement, on continue d’améliorer les lampes à huile qui reprennent la forme des chandeliers et sur lesquelles on peut adapter un garde-vue. Ainsi, dans cette autre réclame du 31 juillet 1760, on annonce que : « Le Sr. Marignier, Marchand sous l’horloge du Palais, à la Levrette, vend de nouvelles LAMPES ECONOMIQUES en forme de bougie, montées sur un chandelier de métal blanc, et inventées par le Sr. Messier. On peut y adapter un garde-vue. (…) On peut aller et venir avec ces lampes et même les pencher, sans répandre l’huile, ce qui les rend plus commodes que la chandelle et la bougie qui coulent au moindre mouvement. (…) »

Annonces, affiches et avis divers - 31 juillet 1760 - ©BNF
Annonces, affiches et avis divers – 31 juillet 1760 – ©BNF
Annonces, affiches et avis divers - 25 février 1762 - ©BNF
Annonces, affiches et avis divers – 25 février 1762 – ©BNF

Autour de 1770 : la lampe « bouillote »

Aux alentours de 1770, à la fin du règne de Louis XV ou au début de celui de Louis XVI, la lampe dite « bouillote » fait son apparition et devient rapidement un élément essentiel de la décoration des salons feutrés de l’aristocratie notamment sous l’Empire.

Cette lampe doit son nom à un jeu de cartes très à la mode à cette époque : la bouillotte, une adaptation du Brelan. Placée sur la table de jeu, la lampe bouillotte se composait en général d’un chandelier à deux ou trois bras. L’abat-jour en tôle peinte coulissait sur une tige pour permettre de suivre la combustion des bougies et tamiser la lumière.

Le socle du luminaire était en forme de cuvette destinée à recevoir, à chaque coup, une petite partie des jetons qui étaient généralement destinés au personnel de la maison en fin de partie.

La Bouillotte, estampe, Jean François Bosio, 1804 - ©Musée Carnavalet, Histoire de Paris
La Bouillotte, estampe, Jean François Bosio, 1804 – ©Musée Carnavalet, Histoire de Paris
La Soirée d’hiver, Fr.-R. Ingouf Junior,d’après S. Freudeberg, 1774 -© Collection Rosenwald, National Gallery of Art
La Soirée d’hiver, Fr.-R. Ingouf Junior,d’après S. Freudeberg, 1774 -© Collection Rosenwald, National Gallery of Art
Lampe bouillotte à 2 lumières (1856-1889) ©Isabelle Bideau Mobilier national
Lampe bouillotte à 2 lumières (1856-1889) ©Isabelle Bideau Mobilier national
Si les bougies continuent d’être utilisées couramment, on cherche toujours à développer la lampe à huile pour la rendre plus performante. C’est ainsi qu’à la fin du XVIIIème siècle, un suisse du nom d’Argand, invente la lampe à double courant d’air avec une mèche cylindrique qui selon lui : « éclaire à elle seule comme dix à douze bougies réunies. » Elle a l’autre avantage de ne plus fumer car tous les déchets de combustion sont brûlés. Le succès est immédiat mais les contrefaçons se multiplient. Ainsi, le français Quinquet reprend cette découverte à son compte et donne son nom à la lampe : la lampe Quinquet dont l’abat-jour est en tôle peinte.
Lampe d'Argand-Histoire du luminaire depuis l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle par Henry-René d'Allemagne-illust. de Emile Solvet 1891-BNF
Lampe d’Argand-Histoire du luminaire depuis l’époque romaine jusqu’au XIXe siècle par Henry-René d’Allemagne-illust. de Emile Solvet 1891-BNF
Paire de lampes à quinquet Empire en tôle peint en noir avec décor - Epoque 19ème siècle ©Moinat
Paire de lampes à quinquet Empire en tôle peint en noir avec décor – Epoque 19ème siècle ©Moinat
James Peale by Charles Wilson Peale - 1822 - Institut des Arts de Détroit-Michigan - (lampe Quinquet)
James Peale by Charles Wilson Peale – 1822 – Institut des Arts de Détroit-Michigan – (lampe Quinquet)
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